Baignade dans la Seine: reconquérir les rivières urbaines et "renouer avec le passé"

L'ouverture de la baignade dans la Seine en plein Paris, annoncée pour cet été, participe d'un mouvement écologiste de "reconquête" des rivières urbaines à travers l'Europe, analyse pour l'AFP Benoît Hachet, sociologue des baignades urbaines.

Une manière pour les Parisiens d'affronter le réchauffement climatique mais aussi de "renouer avec le passé" après un siècle d'abandon de leur fleuve au profit des seuls bateaux, selon cet enseignant à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

QUESTION: A quoi ressemblaient les baignades dans la Seine autrefois ?

REPONSE: Les premiers bassins aménagés dans le fleuve, qui sont les premières piscines, sont apparus à la fin du XVIIIe siècle avec la création des bains Deligny en face de la place de la Concorde, pour faire une école de natation. Ils étaient fréquentés par une clientèle de luxe dont le duc d'Orléans. On pouvait déposer ses bijoux dans des coffres ! Au XIXe existaient aussi les bains populaires +à quatre sous+,, avec simples piquets comme le montrent les dessins de Daumier. On s'y baignait pour le loisir, sans savoir vraiment nager, ou se laver. En parallèle, la médecine commence à s'intéresser aux bienfaits de l'eau froide, et cherche à rapprocher les gens de l'eau. C'est au même moment d'ailleurs que l'aristocratie s'approche du littoral.

QUESTION: Pourquoi est-on sortis de la Seine ?

REPONSE: Les premières interdictions de baignade, qui tombent au milieu du XIXe siècle, étaient liées aux moeurs - beaucoup se baignaient nus. Ainsi qu'à la sécurité, avec le développement du trafic fluvial.

Les Parisiens commencent à sortir de la Seine dès la fin du XIXe siècle, en même temps que les piscines se construisent hors du fleuve. Ils continuent néanmoins à piquer des têtes dans la Marne ou la Seine jusqu'au milieu du XXe siècle, en dehors de la capitale.

En 1923, un arrêté interdit définitivement la baignade en pleine eau dans tout le département de la Seine. A aucun moment il n'invoque la qualité de l'eau. La question ne surgit qu'a partir des années 1970 dans les décrets d'interdiction visant la Marne.

Cette prise de conscience de la pollution est concomitante avec le développement des piscines, où l'eau est plus propre. La construction des voies sur berges parisiennes a coupé l'accès au fleuve et à partir de là, on n'a plus touché à l'eau.

QUESTION: Quand a commencé la réappropriation ?

REPONSE: Le mouvement écologiste de reconquête des rivières urbaines a commencé avec le nettoyage de l'Elbe dans les années 1990, à la réunification de l'Allemagne. Le fleuve était immonde, il fallait le rendre baignable. Pour des raisons politiques surtout car il passait entre les deux Etats.

Au début des années 2000, le Suisse Roberto Epple a lancé le "Big Jump", rendez-vous où on se jette à l'eau à travers l'Europe pour recréer un lien entre les citoyens et leurs rivières, retrouver cette culture perdue de l'eau. Et revendiquer une dépollution des fleuves, dans une volonté de renaturation des villes fluviales.

A Paris, les Jeux olympiques ont été un formidable accélérateur de dépollution.

QUESTION: Les Parisiens ne vont-ils pas continuer à préférer les piscines à la Seine ?

REPONSE: Les piscines publiques françaises, construites pour la plupart avant les chocs pétroliers, sont pour la plupart trop énergivores et obsolètes, comme l'a pointé la Cour des comptes. Certes des efforts sont faits pour la construction de nouveaux bassins, mais le stock des piscines existantes - environ 5.000 - n'est pas un modèle d'avenir. Dans 20 ou 30 ans, on risque de considérer que le fait de se baigner en maillot de bain dans une eau chaude en plein hiver est très antiécologique, sans compter les pénuries d'eau à venir.

A Paris, dès qu'il fait chaud les bassins sont littéralement bondés. Donc on fait comment pour se rafraîchir, alors qu'on prédit des étés à bientôt 50 degrés ?

La baignade dans la Seine peut donc drainer pas mal de monde, je pense même que ça peut vite déborder. Il suffit de voir la foule dans le bassin de la Villette aux beaux jours pour s'en rendre compte. Mais ça n'est pas une solution miracle car d'ici quelques décennies, le débit de la Seine va baisser, il y aura beaucoup moins d'eau et la pollution augmentera.