Le Gers, terroir célèbre pour son foie gras, abrite désormais une spécialité plus inattendue: la gambas tropicale qui, grâce à un éleveur aux petits soins et des étés toujours plus chauds, prend ses aises au pays du canard.
"C'est vrai que c'est pas commun de trouver ce genre de produits ici! Mais heureusement, il y a des gens qui sortent un petit peu de l'ordinaire". Le chef Julien Razemon est tout sourire, son sac de 3 kg de gambas fraîches à la main.
Cette semaine, dans son restaurant gastronomique, il compte préparer les crustacés en tartare pour mettre en valeur leur transparence presque nacrée et leur croquant, liés à la fraîcheur d'un produit qui, auparavant, lui parvenait du Bangladesh, d'Inde ou d'Equateur.
"On importe 100.000 tonnes de crevettes par an en France, soit à peu près deux kilos par habitant", souligne Géraud Laval, 50 ans, le créateur iconoclaste de "Gambas d'ici" chez qui Julien Razemon est venu s'approvisionner.
Sur la base de ce "marché phénoménal", ce vétérinaire et docteur en épidémiologie à la recherche d'une nouvelle aventure a eu l'idée de lancer en 2017 le premier élevage de crevettes français, 100% "made in" Gers, là où il s'est installé avec femme et enfants après avoir longtemps voyagé.
- 3-4 crevettes au mètre carré -
"Si je me suis lancé dans ce projet, c'est de façon très engagée parce que je crois qu'on peut vraiment produire autrement, penser différemment la production et la consommation", explique-t-il à l'AFP.
"Produire autrement", c'était prendre le contrepied des fermes-usines du bout du monde qui déciment les écosystèmes côtiers et pratiquent un élevage intensif à plusieurs centaines de crevettes par mètre carré et à coup de gros volumes de farine de poisson pour les nourrir.
A Idrac-Respaillès, village gascon d'à peine plus de 200 âmes où Géraud Laval a creusé ses trois bassins (1,5 hectare au total), il y a trois-quatre crevettes au m2 et pour la nourriture, le crevetticulteur préfère fertiliser l'eau (avec du tourteau de tournesol), les petits vers d'eau et insectes faisant le reste.
L'autre idée forte du projet, c'était aussi son adaptabilité à l'environnement. "Les climatologues convergent sur ce constat, c'est que les températures augmentent", souligne Géraud Laval.
"Cet été, on a eu un record ici à 42 degrés", dit-il, et la saison 2023 a été celle de ses meilleurs rendements justement parce que la crevette qu'il a choisie se développe particulièrement bien dans une eau dont la température dépasse en moyenne les 25 degrés.
- Risque invasif éliminé -
Cette spécificité liée aux températures élimine par ailleurs le risque invasif, la crevette tropicale ne pouvant survivre dans une eau à moins de 14 degrés, comme celle d'un cours d'eau gersois en plein hiver, fait remarquer M. Laval qui, à partir de fin novembre, délaisse les gambas pour élever des truites.
Et pour encore plus de sécurité environnementale, ses bassins sont en circuit fermé, sans aucun contact avec les cours d'eau voisins.
De quoi, espère l'éleveur, vaincre les réticences de pouvoirs publics parfois inquiets à l'idée de délivrer des autorisations d'exploitation pour de la crevetticulture tropicale.
Géraud Laval se rêve en initiateur d'un mouvement et il espère diffuser son concept d'élevage: il préside l'Association interprofessionnelle de la crevette d'eau douce (AICED) et forme volontiers les éleveurs désireux de se lancer.
C'est notamment le cas de certains pisciculteurs des étangs de la Dombes (Ain), première région française pour la production de poissons d'étang.
Mais sur ce territoire, l'Etat bloque les autorisations.
Interrogé en mars à ce sujet par le député du cru, Jérome Buisson (RN), le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau a promis d'harmoniser le regard de l'Etat sur ces initiatives et de faciliter les autorisations.
"Il me semble que l'on a besoin de projets comme ceux-là", a-t-il dit.