Suspensions de contrat, isolement accru voire demande de divorce: au travail comme dans la sphère privée la pandémie de Covid-19 a dégradé le lien social, selon la médiatrice professionnelle Édith Delbreil.
"Des distanciations sociales se créent de plus en plus depuis le confinement", explique à l'AFP Mme Delbreil qui a lancé mi-septembre une ligne d'écoute pour les personnes souffrant de tensions générées par la situation sanitaire.
La médiatrice a notamment été marquée par le cas d'un couple dont les deux membres avaient des vues divergentes sur la vaccination.
"Il y en a un qui ne veut pas se faire vacciner, l'autre qui veut se faire vacciner et lui impose de faire de même. Ils sont en instance de divorce", relate-t-elle.
Les tensions se font aussi ressentir en milieu professionnel. La création de la ligne d'écoute a d'ailleurs coïncidé avec l'entrée en vigueur de l'obligation vaccinale pour les personnels soignants.
Édith Delbreil cite l'exemple d'un dentiste en milieu hospitalier, reconduit à la porte de son cabinet par deux agents de sécurité car il n'était pas vacciné.
"Il est sorti de l'hôpital entre deux gardiens, il s'est senti humilié", confie-t-elle.
Le premier jour d'application de cette obligation vaccinale, le ministre de la Santé avait annoncé que 3.000 suspensions de professionnels de la santéavaient été prononcées.
Un nombre probablement sous-estimé: deux semaines plus tard, on en dénombrait plus de 1.400 rien qu'en Île-de-France, soit moins d'1% des effectifs selon l'Agence régionale de santé.
- "Complètement noyés" -
Ces situations conflictuelles se présentent alors que la santé mentale des Français a été durement éprouvée par l'épidémie.
Selon les résultats de l'enquête CoviPrev publiés le 17 septembre, 15% des Français montrent les signes d'un état dépressif (+5 points par rapport au niveau hors épidémie), 23% des signes d'un état anxieux (+10 points) et 10% ont eu des pensées suicidaires au cours de l'année (+5 points).
"Chacun a vécu un changement mais chaque individu l'a vécu à sa façon. Il y a ceux qui passent entre les gouttes, ceux qui prennent l'eau et ceux qui finissent complètement noyés", résume Édith Delbreil.
C'est entre autres pour ces derniers que la médiatrice a mis en place la ligne d'écoute. La première heure, gratuite, suffit parfois à "dédramatiser et arriver à une solution".
Si un seul rendez-vous ne permet pas de sortir de l'impasse, les médiateurs peuvent prolonger le suivi, cette fois via des séances payantes.
"Le nombre d'appels ne cesse de croître", assure Édith Delbreil. "Il y a une quarantaine de médiateurs et on a mobilisé environ 197 heures d'écoute pour quinze jours", détaille la médiatrice.
Après de nombreux appels de professionnels de la santé dans les premiers jours du dispositif, le profil des personnes qui recourent à la ligne d'écoute tend à se diversifier.
Quand elle échange avec elles, la créatrice de la ligne d'écoute préconise "une posture de reconnaissance de l'altérité".
Concrètement, la médiatrice invite ses interlocuteurs à "reconnaître l'ensemble de la population, accepter que les individus peuvent être légitimes dans leur réflexion."
Des préceptes applicables aussi au gouvernement, qu'elle juge "maladroit" dans sa communication sur la situation sanitaire.
"Quand on parle de gestes barrières, de distanciation sociale, ça crée du dégât en matière de lien social". Pour Édith Delbreil, il vaudrait mieux parler de distanciation spatiale ou de "gestes prophylactiques".
"La simplification des mots fait que l'autre est un ennemi, un danger", alerte-t-elle.