ArcelorMittal: le nouveau plan social "beaucoup plus dangereux" que les précédents, pour un syndicaliste historique

Signataire de l'accord qui a scellé en 2013, la fermeture des hauts fourneaux d'ArcelorMittal à Florange en Moselle, Jean-Marc Vecrin, aujourd'hui coordinateur CFDT pour l'ensemble du groupe, estime que le nouveau plan social annoncé est "beaucoup plus dangereux" que ceux qui ont émaillé la vie du groupe et craint que le sidérurgiste ne se "désengage" à terme de la France.

Lors de la dernière crise, qui a marqué les mémoires et le quinquennat de François Hollande, ce syndicaliste entré dans le groupe il y a trente ans, une dizaine d'années avant le rachat d'Arcelor par le groupe indien Mittal en 2006, se souvient qu'il y avait "une stratégie", consistant à se recentrer sur les sites "côtiers" du groupe: Dunkerque au nord, et Fos-sur-mer au sud. Aujourd'hui, "on n'a pas de vision, la stratégie, on ne la connaît pas", affirme-t-il.

Alors que la France ne comptait plus de mines de charbon, le groupe a choisi en 2012 de conserver deux sites de hauts fourneaux en bord de mer pour faciliter leur approvisionnement en charbon ou minerai de fer importé, et exporter l'acier au nord vers l'Allemagne et la Belgique, au sud vers l'Espagne, l'Italie et le Maghreb.

"Dunkerque était le grand producteur de brames" (longs blocs d'acier parallélépipèdes, base de la sidérurgie) et distribuait à toute la France", rappelle M. Vecrin.

Ce qui a permis de reclasser l'ensemble des salariés dont les emplois ont été supprimés à Florange: même si la fermeture des hauts fourneaux mosellans a été vécue comme "un désastre", "il y a eu zéro licenciement", rappelle le syndicaliste.

Alors que le plan touchant Florange en 2012-13 avait été annoncé "longtemps auparavant", le plan de délocalisation de 1.400 postes dans les fonctions support européennes - dont 236 en France - auxquels s'ajoutent dans l'Hexagone 400 suppressions de postes de production, "a été une surprise totale": "on l'a appris du jour au lendemain".

"Il y a un objectif, un grand objectif bien sûr, qui est là, c'est la décarbonation (...), mais les étapes pour y arriver, ça change tout le temps, et nous, on n'arrive pas à avoir d'informations", assure M. Vecrin.

- "Désindustrialisation silencieuse" -

Après la suspension en novembre 2024 de l'investissement de 1,8 miliard d'euros prévu pour décarboner la production d'acier à Dunkerque, l'affirmation le 15 mai par la direction française du deuxième sidérurgiste mondial de son "intention" d'investir 1,2 milliard d'euros dans un four électrique à Dunkerque, "ne rassure pas" M. Vecrin.

"C'est au conditionnel", souligne-t-il, rappelant que la direction attend, pour prendre une décision ferme et définitive, que l'Union européenne mette en oeuvre des mesures annoncées pour protéger l'acier européen de la concurrence de l'acier chinois à prix cassé.

"Autre souci", alors que le groupe emploie actuellement 15.000 personnes sur ses 40 sites de production en France, les fours électriques, "au niveau production, c'est moins" que les hauts fourneaux : la direction a évoqué 2 millions de tonnes par an de capacité pour le four électrique en projet, "alors qu'un haut fourneau c'est 3 millions", souligne M. Vecrin, qui craint une baisse des besoins de main-d'oeuvre.

Il réclame une "conditionnalité" à des engagements sur l'emploi des aides d'Etat que ne manquera pas, selon lui, de réclamer ArcelorMittal pour cet investissement. Pour le plan de décarbonation suspendu, un peu plus de 800 millions d'euros d'aide publique avaient été promis.

En dehors de la construction en cours d'une usine d'acier pour les moteurs de véhicules électriques à Mardyck (Nord), il pointe, comme d'autres représentants du personnel, "un manque criant d'investissement" dans l'outil de production français, accusant le groupe de procéder à une "désindustrialisation silencieuse".

ArcelorMittal a réalisé, selon lui, "des investissements au Brésil, en Inde, aux États-Unis, au Canada", avec dans ce cas "des grosses structures de décarbonation": "s'il fait ça hors Europe, c'est qu'il ne va pas le faire en Europe", a estimé M. Vecrin.

"Notre peur, c'est que sans qu'on s'en rende compte, petit à petit, il s'engage de plus en plus hors Europe et qu'il se désengage de l'Europe", a-t-il conclu.

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