Des champs bordés de bosquets tout près d'un lotissement flambant neuf et d'une entrée d'autoroute: en lisière d'Amiens, un projet d'urbanisation sur des terres agricoles indigne des défenseurs de l'environnement, avec en toile de fond le débat autour de la loi Zéro artificialisation nette.
Jeudi, les opposants à la Zone d'aménagement concerté (ZAC) Boréalia 2, au sud-ouest d'Amiens, ont remporté une bataille. Le tribunal administratif a annulé la délibération de juin 2022 créant cette zone.
Le tribunal a jugé l'étude d'impact insuffisante sur de multiples points, comme la préservation des eaux souterraines, le risque d'inondation et les mesures de protection d'une espèce de chauve-souris. Il reproche aussi à la métropole de ne pas expliquer pourquoi ce site a été retenu "parmi les autres disponibilités foncières recensées", malgré les effets sur l'environnement.
Les opposants, fédérés dans l'association Patat - pour "Préservons l'Avenir des Terres Amiénoises Pour Toutes" -, saluent une décision "critique de la consommation déraisonnable et injustifiée d'espaces agricoles à l'heure de l'objectif du Zéro Artificialisation Nette".
Le président LR de la métropole, Alain Gest avait de son côté averti peu avant la décision qu'en cassant cette délibération, "on choisirait d'empêcher la création d'activités dans une agglomération qui en a encore bigrement besoin". Jeudi, il a annoncé que la métropole faisait appel.
Cette zone agricole d'une soixantaine d'hectares constitue aux yeux de l'élu la dernière réserve foncière pouvant permettre à des activités nécessitant de grandes surfaces de s'implanter dans la métropole. Le co-président de la Patat Jean-François Dubost y voit lui la "dernière entrée verte" de la capitale picarde.
Les opposants dénoncent une "bétonisation" prévue des terres qui mettrait à mal leur rôle de stockage de carbone et perturberait les animaux qui les traversent aujourd'hui: cigognes noires, renards ou chauve-souris.
"Toute expansion urbaine, c'est la biodiversité qui s'érode", s'inquiète un membre de la Patat, David Bonduelle.
-- changement climatique --
Le projet remonte à une trentaine d'années, et les collectivités ont acquis les terres, louées à des agriculteurs en attendant.
La Patat et des riverains critiquent le flou du projet. Initialement présentée comme devant accueillir 60% d'activités logistiques, la ZAC doit aujourd'hui permettre l'implantation d'"entreprises dans le domaine des batteries, des panneaux photovoltaïques, toutes sortes de technologies nouvelles", selon Alain Gest.
Pour l'élu, le taux de chômage à Amiens - 9,1% au premier trimestre 2024 contre 7,3% de moyenne en France métropolitaine - plaide pour cette nouvelle zone. Pour les opposants, les créations d'emploi restent trop incertaines pour justifier les dommages à l'environnement.
Ils appellent à "penser différemment", chercher des friches mais aussi réfléchir à une échelle plus large que celle de l'agglomération.
La décision rendue jeudi amène Amiens Métropole à scruter d'encore plus près les débats en cours autour de la loi Zéro Artificialisation Nette (ZAN).
Acté en 2021, ce principe vise à stopper l'étalement urbain d'ici 2050, afin de préserver les terres naturelles et agricoles.
A Amiens Métropole, "au moment où le feu passe au rouge, ils accélèrent", accuse M. Dubost.
Les contraintes du ZAN pourraient toutefois être bientôt allégées. Face à la grogne de certains élus locaux, le Sénat a adopté mi-mars une proposition de loi supprimant l'échéance intermédiaire de réduction de 50% du rythme d'artificialisation des sols en 2031 par rapport à la période 2011-2021. Les députés devraient à leur tour s'emparer du texte avant fin juin.
En avril 2024, Amiens Métropole a adopté un voeu appelant à un moratoire sur le ZAN.
Pour l'urbaniste et président de l'Institut de la Transition foncière Jean Guiony, le sujet est crucial, car travailler sur l'artificialisation des sols constitue "le levier d'atténuation du changement climatique qui a le meilleur rapport coût-efficacité". En France, dans ce domaine, le décalage est "absolument énorme entre les intentions et la réalité", déplore-t-il.
Face au sentiment d'injonctions contradictoires entre appels à la sobriété foncière et à réindustrialiser, il préconise d'apporter aux collectivités "massivement plus d'expertise urbaine, architecturale, agronomique". Objectif: construire un vrai modèle de financement pour accompagner des projets plus complexes et plus coûteux, reposant sur le recyclage de friches ou la densification de zones existantes.