Favoriser la mixité dans les métiers en tension peut permettre de combiner progrès social, solutions de recrutement et performance économique. Mais encore faut-il que cela s'accompagne de revalorisations salariales, selon des analyses et témoignages recueillis par l'AFP.
Après une école d'ingénieurs, Sanaâ Andaloussi a fait un stage chez Vinci Construction. Elle y est aujourd'hui ingénieure travaux et vante un "métier de passion" qui l'amène à diriger des équipes essentiellement masculines. "Les choses commencent à bouger", a-t-elle témoigné lors d'un forum des métiers organisé début décembre à Cergy (Val-d'Oise) par des associations de défense des droits des femmes.
"Les femmes ont toute leur place sur un chantier" et il est nécessaire de "+dégenrer+ nos métiers", déclare Estelle Giot, chargée du développement en ressources humaines chez Vinci Construction. D'autant que le BTP et l'industrie phagocytent les trois quarts des places "du top 30 des métiers en tension", selon une étude de la Dares et Pôle emploi parue début septembre. Les pénuries de candidats sont au plus haut depuis dix ans et concernent sept métiers sur dix.
L'Observatoire des inégalités note que "la mixité progresse, mais bien lentement". Selon une de ses études publiée en mars, "sur les 88 grands types de métiers répertoriés par le ministère du Travail, on comptait 16 métiers mixtes en 1982-1984. Il y en avait seulement cinq de plus 35 ans plus tard".
Un métier est considéré comme mixte s'il comporte entre 40% et 60% des deux sexes. Seules les professions intermédiaires sont vraiment mixtes. Chez les cadres, on ne compte que 40% de femmes. Dans les métiers d'exécution, la séparation des femmes et des hommes est encore plus manifeste : les emplois d'ouvriers sont exercés à 80 % par des hommes, et ceux d'employés, à 75 % par des femmes, détaille l'observatoire.
Alors que les recrutements sont à la peine dans des secteurs essentiellement masculins ou à prédominance féminine (aide à domicile, soin, petite enfance), "à nous de casser les codes et d'élargir les choix professionnels", martèle la directrice générale de l'association "Du côté des femmes", Brigitte Chabert, co-organisatrice du forum des métiers de Cergy.
- Des efforts payants -
"Vous avez tout à gagner à vous ouvrir à d'autres types de profils", conseille Pôle emploi aux employeurs sur une page de son site intitulée "Mixité hommes-femmes: les atouts pour votre entreprise".
La mixité est "d'autant plus nécessaire si vous connaissez une pénurie de candidats", elle permet aussi "de répondre aux obligations légales" et d'échapper aux pénalités (1% de la masse salariale) qu'encourent les entreprises de 50 salariés et plus qui ne font pas assez d'efforts en faveur de l'égalité professionnelle hommes-femmes.
Des efforts payants en matière de performance économique, si l'on en croit France Stratégie, un organisme d'étude dépendant de Matignon, dans une note de juin 2021. "A caractéristiques égales, une entreprise plus éloignée qu'une autre de la moyenne en termes de mixité est aussi moins productive. (...) Ce constat est valable sur la mixité de sexe comme sur la mixité d'âge (part des moins de 30 ans)".
Toutefois, pour l'économiste Rachel Silvera, spécialiste des questions d'inégalité professionnelle, de l'Université Paris-Nanterre, "les métiers sont en tension parce que leurs conditions de travail, de rémunération et d'organisation ne sont pas attractives".
Selon cette codirectrice du réseau de recherche interdisciplinaire et international Mage (Marché du travail et genre), il faut d'abord revaloriser ces métiers "déqualifiés, non reconnus et pas assez rémunérés".
Plus globalement, "on entend mixité comme le fait que des femmes pourraient -devraient- changer d'orientation et se déplacer vers des emplois à prédominance masculine. On évoque rarement la question inverse: à quand des hommes incités à rejoindre des métiers ultra-féminisés dans la santé, l'aide à la personne, la petite enfance ?"
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