Assèchement des cours d'eau, températures des rivières trop élevées qui provoquent une surmortalité des poissons... la canicule a de sérieuses implications pour les pêcheurs alsaciens, obligés d'adapter leur pratique quand ils ne décident pas tout simplement de renoncer à leur hobby.
Dans les étangs de Holtzheim (Bas-Rhin), au bord de la Bruche, Jean-Marc Wirth est inquiet des niveaux, très bas.
"En huit jours, le niveau de l'eau est descendu de moitié. En profondeur, il n'y a même pas un mètre alors qu'en temps normal il y a deux mètres. Les niveaux ne sont jamais très hauts en période estivale, mais cette année c'est particulièrement bas", détaille le pêcheur, pointant du doigt un étang où les poissons sont proches de la surface.
Le sexagénaire entretient les deux étangs depuis 15 ans. Ces derniers, où vivent carpes, gardons, carassins, brochets ou sandres, sont alimentés par la Bruche, petite rivière qui coule à l'ouest de Strasbourg, dont le bassin versant a été placé en vigilance renforcée sécheresse le 19 juillet en raison du déficit pluviométrique et de la chaleur.
En outre, l'entrée d'eau dans les étangs est bouchée par les feuilles mortes: "Normalement elle se bouche à partir du mois de septembre, à l'arrivée de l'automne. Mais avec toute la sécheresse qu'on a, c'est catastrophique", se plaint-il, nettoyant avec sa canne la grille bouchée par des feuilles qui empêchent l'eau de couler.
- Disparition de certaines espèces -
Richard Soth constate les mêmes anomalies. Pour le président du club de modélisme naval de Holtzheim, les températures sont "problématiques". "Hier il a plu toute la nuit mais à sept heures du matin, on ne voyait aucune différence sur le niveau de l'eau. C'est anecdotique", estime-t-il.
"S'il n'y a pas de courant, l'eau chauffe, il n'y a plus d'oxygène et les poissons suffoquent", explique encore Jean-Marc Wirth, regardant une truite qui nage dans tous les sens.
Le bilan dressé par la Fédération de pêche du Bas-Rhin est tout aussi alarmant. Par exemple, selon le dernier relevé des températures des cours d'eau, près du tiers des zones de confort thermique du chevesne (un poisson d'eau douce courant en Europe) dans le Bas-Rhin sont en niveau "assec", et plusieurs stations sont "très proches de la rupture d'écoulement".
"La multiplication des cours d'eau +en assec+ augmente le risque de disparition de certaines sous-espèces génétiques, qui ne pourront plus recoloniser ces eaux", prévient Julien Louviot, chargé de mission technique à la Fédération de pêche du Bas-Rhin.
Raphaël Koenig, président de l'Association de pêche et de protection du milieu aquatique (AAPPMA) d'Ernolsheim-Bruche, est tout aussi pessimiste au vu de la situation, "et on n'ira pas vers une amélioration", reconnaît-il.
- Températures catastrophiques -
Face à cet état de fait, certains pêcheurs modifient leurs pratiques ou s'abstiennent de pêcher en attendant que les niveaux d'eau remontent.
"Le pêcheur est conscient de l'état de la rivière, il sait très bien quand s'arrêter", affirme Eric Vincent, guide de pêche en Alsace et dans le massif des Vosges.
Le moniteur, âgé de 55 ans, ne peut que constater l'augmentation des températures, catastrophiques pour les poissons. Rien que la semaine passée, il a dû annuler quatre séances de pêche en raison du niveau bas des eaux. "Je ne peux pas assurer les prestations des clients cet été, ce n'était pas le cas il y a 10-15 ans", constate-t-il.
Parmi les espèces les plus menacées, la truite arrive en tête. Plusieurs pêches de sauvetage ont été organisées dans le Haut-Rhin par des associations pour sauver ce poisson fragile qui ne peut pas survivre au-delà de 25°C environ. Lors de ces opérations, les poissons sont sortis de la rivière où ils sont en danger, et réintroduits dans des bassins ou des cours d'eau plus frais.
"Les hautes températures stressent la truite et ralentissent son métabolisme, induisant une diminution de son nourrissage. Il n'est donc pas raisonnable de la pêcher en ce moment", prévient Éric Vincent.