Aisne: des scooters électriques démontables lancés contre l'obsolescence programmée

Un scooter électrique fabriqué en France, mais moins cher que ses concurrents asiatiques, car sa production et son usage sont conçus pour lui assurer une "pérennité programmée": tel est le pari de Mob-ion, qui produit ces deux-roues dans l'Aisne.

Voisin de l'imposant Familistère de Guise, où l'utopie d'une cité ouvrière idéale prit corps au milieu du XIXe siècle, Mob-ion se veut pionnier d'une nouvelle conception de la fabrication industrielle et de l'usage des produits.

Au coeur du projet, l'idée de remplacer la logique "produire, consommer, jeter" - ou, au mieux, recycler, ce qui consomme également de l'énergie - par "démonter, réparer, remanufacturer" aussi longtemps que possible.

Et passer ainsi, en prenant en compte dès le départ le cycle de vie de chacun des composants, de l'obsolescence programmée à la "pérennité programmée", une marque déposée par Mob-ion.

Dans les vastes bâtiments de briques où l'entreprise s'est installée en 2022 pour muer du monde des start-up vers la production, un employé fixe le carénage avant du petit scooter électrique 50 cm² à l'allure standard et la batterie amovible.

- "Vie après vie" -

Une sobriété assumée: 62% de ses pièces sont "éco-conçues" pour pouvoir être changées facilement et réutilisées, parfois jusqu'à 20 ans. Et avec 73,3% de composants fabriqués en France, le scooter a obtenu le label "origine France garantie".

"Dans n'importe quel produit, des composants qui n'ont pas la même durée de vie cohabitent, certains en polymère avec des durées de vie très courtes, d'autres en inox et quasi-éternels", d'où l'intérêt de favoriser le démontage, expose Christian Bruère, président de Mob-ion.

Le cuivre par exemple, "va coûter très cher" à l'avenir, donc "faire un moteur avec un stator (partie statique) en cuivre pensé pour pouvoir être réutilisé vie après vie, cela a beaucoup de sens".

Derrière lui, penchée au-dessus d'un moteur, une équipe est parvenue à passer de 18 à trois points de soudure, facilitant ainsi la récupération de pièces.

Bientôt, la production par îlots, où un employé monte un scooter en trois heures, sera remplacée par des lignes, d'où doivent sortir 5.000 véhicules.

La "pérennité programmée" suppose que l'entreprise reste propriétaire des scooters. Mob-ion a donc opté pour des locations de longue durée ou des ventes avec contrat de reprise au bout de 24 ou 48 mois. A leur issue, les véhicules seront démontés sur un chantier d'insertion et leurs pièces remanufacturées.

Un boîtier électronique embarqué permet également de savoir quand changer les pièces exposées à l'usure, en fonction de l'utilisation du scooter.

- "Compétitif et français" -

La plupart des 500 engins déjà produits ont été loués à des entreprises de livraison de repas. Mais "avec ce niveau de maltraitance, on ne pourra pas aller jusqu'à la pérennité qu'on veut", constate Thomas Thueux, directeur financier et des opérations.

Mob-ion vise désormais collectivités, associations engagées pour la mobilité ou encore campings et hôtels. Ainsi que les habitants des zones rurales où les problèmes de mobilité font obstacle à l'emploi, comme la Thiérache où la société s'est implantée.

En misant sur la durée des pièces, au lieu de casser les prix d'entrée, Mob-ion peut être "compétitif tout en étant français", souligne M. Bruère.

Le scooter électrique est proposé à 59 euros par mois avec un usage peu couteux, "car faire 100 km en scooter électrique revient à 50 centimes d'électricité".

Actuellement produites chez un partenaire à Rouen, les batteries le seront bientôt à Guise. Elles connaîtront elles aussi plusieurs vies: dans les scooters, puis pour du stockage stationnaire d'électricité à destination de particuliers ou collectivités.

Pour l'économiste Christian Dutertre, dont les travaux ont inspiré M. Bruère, Mob-ion a effectué le saut vers "l'économie de la fonctionnalité", consistant à vendre, plutôt qu'un produit, "une solution qui l'articule avec des services".

Mais ce modèle, où il voit un nouvel horizon pour l'industrie, suppose selon lui une remise en cause du système financier actuel, fondé sur la rentabilité à court terme. Et une révolution culturelle pour les ingénieurs "encore marqués par la production du neuf".

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