Agriculture, alimentation: le poids des lobbies de nouveau en cause à l'Assemblée

Le poids des lobbies à l'Assemblée nationale est de nouveau pointé du doigt à propos de la loi agriculture, après les accusations de Delphine Batho sur le glyphosate. François de Rugy appelle cependant à "ne pas fantasmer" et Stéphane Travert dément être dans leurs "mains".

Dans une Assemblée profondément renouvelée il y a près d'un an, avec une promesse d'exemplarité accrue du côté de la majorité LREM, les usages de l'"ancien monde" ont-ils disparu ?

En plein hémicycle, l'ex-ministre socialiste de l'Écologie Delphine Batho a accusé mardi l'Union des industries de la protection des plantes - qui rassemble notamment les géants agrochimiques allemand Bayer et américain Monsanto, en cours de fusion - d'avoir eu son amendement sur l'interdiction du glyphosate "plus de 90 heures" avant les députés.

"Ça, oui, je n'avais jamais vu", c'est "une ingérence grave dans la souveraineté du Parlement", a affirmé celle qui dénonçait en 2014 "la connivence avec les lobbies au sommet de l'État".

Une enquête "n'a pas permis de déterminer d'où venait la fuite", selon le président de l'Assemblée (LREM). Il a saisi la déontologue pour voir si des "initiatives" doivent être "prises à l'endroit des représentants d'intérêts, bénéficiaires de la fuite".

Et si la fuite venait du gouvernement, auquel les amendements sont transmis en amont, selon une pratique relevée par Delphine Batho après un courrier de François de Rugy ?

Le ministre de l'Agriculture (LREM, ex-PS) a fustigé vendredi "les petits marquis de l'écologie" qui l'accuseraient d'être "aux mains des lobbies" de l'agrochimie. "Cela fait des semaines et des semaines qu'on m'insulte à longueur de journée (...) Je ne suis pas aux mains des lobbies", a assuré Stéphane Travert.

Au-delà de cette polémique, le vaste projet de loi "pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable" a suscité plus de 2.000 amendements.

- "Garder son libre arbitre" -

Dans le lot, des dizaines d'amendements aux mots identiques signés par des députés de groupes différents, marque d'argumentaires transmis par des lobbyistes.

Un responsable de la grande distribution assurait cette semaine à l'AFP qu'il avait "écrit deux amendements" sur le texte, alors que des juristes de l'agroalimentaire, d'associations de consommateurs, de syndicats agricoles et d'ONG environnementales sont aussi à la manoeuvre pour essayer de l'influencer.

"Que des groupes, économiques, associatifs ou syndicaux, fassent des propositions d'amendements et qu'il y ait des députés qui les reprennent (...) ce n'est pas nouveau", assure M. de Rugy, issu des rangs écologistes.

À l'automne, le secrétaire d'État aux Relations avec le Parlement Christophe Castaner (ex-PS) estimait que ce type de pratiques "fait partie de l'apprentissage" des nouveaux et qu'"il faut juste garder son libre arbitre".

Un macroniste du monde de l'entreprise assurait au même moment que les lobbyistes étaient "désarçonnés" par des marcheurs avec davantage d'"expertise".

Alors que l'arrivée massive de novices, parfois issus du privé, a alimenté la crainte d'une perméabilité accrue, voire d'une mainmise des groupes de pression, des élus de la majorité ont décidé de publier les rendez-vous à leur agenda ou ont réclamé des outils d'évaluation "indépendants des administrations et des groupes d'intérêts".

Des limites ont cependant été fixées par l'Assemblée à l'activité des lobbyistes depuis une dizaine d'années : inscription à un registre, code de conduite, déclaration par les députés de tout cadeau ou invitation de plus de 150 euros...

Sous la précédente législature, certains lieux stratégiques leur ont été interdits et des obligations fixées aux "clubs parlementaires" financés par sociétés de relations publiques ou associations professionnelles.

La loi Sapin II anti-corruption de 2016 a aussi créé un large répertoire numérique des représentants d'intérêts.

Près de 1.600 entités se sont inscrites en quelques mois, une obligation pour rencontrer les ministres et leur cabinet, parlementaires et collaborateurs, certains hauts fonctionnaires. En tête des secteurs d'influence : l'environnement - où l'on trouve des multinationales autant que des ONG-, l'économie, le travail-emploi, la fiscalité, la santé.

Regrettant que les lobbyistes n'aient pas à communiquer des informations suffisamment précises, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, qui tient ce répertoire, a plaidé jeudi pour que les responsables publics ouvrent leurs agendas "en open data".

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