L'ailier australien Andrew Kellaway prend des selfies avec des supporters australiens après le match entre l'Australie et le Portugal au Stade Geoffroy-Guichard à Saint-Etienne, le 1er octobre 2023.
©FRANCIS BOMPARD/AFP
Société

Coupe du monde de rugby : "on peut être un événement engagé sans prétendre être neutre en carbone"

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La Coupe du Monde de rugby bat actuellement son plein. Si du côté de France 2023, on vante une compétition “neutre en carbone”, le son de cloche est bien différent chez certains experts. Alors, transition écologique ou greenwashing ? ID a posé la question à Michael Ferrisi, fondateur d’Ecolosport.

Concilier évènement sportif de grande ampleur et transition écologique, c’est le défi que ce sont lancés les organisateurs de la Coupe du Monde de Rugby, désireux de mettre en place une compétition à "impact positif". Pour autant, peut-on considérer que la mission est réussie ? C’est la question à laquelle répond Michael Ferrisi, fondateur d’Ecolosport, une agence qui accompagne les acteurs du sport dans leur stratégie RSE et leur transition écologique.

Une Coupe du Monde implique forcément un lourd bilan carbone. Qu'est-ce qui pollue le plus selon vous ? 

Cela varie. Lorsqu'il s'agit d'un événement déjà doté d'une infrastructure en place, comme cette Coupe du monde en France, les transports sont clairement en première ligne. On a pu constater lors de la Coupe du monde de football au Qatar que la construction des stades était le principal facteur de pollution. 

Le principal volet concerne le partenariat majeur avec la SNCF, puisqu’elle est chargée de gérer entre 70 et 80% des déplacements des équipes via ses différentes filiales.

Cependant, étant donné que dans le cas de cette compétition, les stades sont déjà construits, environ 80% de l'empreinte carbone est attribuée aux déplacements. Pour être plus précis, sur ces 80%, environ 75% sont liés aux déplacements des spectateurs, tandis que 5% concernent le déplacement des équipes, particulièrement en avion. Bien entendu, si elles voyagent en train, l'impact sera très différent.

Quels leviers sont justement activés pour limiter au maximum cette empreinte carbone ?

Pour réduire l'empreinte carbone des événements sportifs, il est important de promouvoir le covoiturage et d’essayer au maximum de dissuader les gens de se déplacer individuellement en voiture thermique. Opter pour le train plutôt que l'avion lors des grands événements est aussi une alternative responsable. Ensuite, favoriser les transports en commun tels que le métro et le bus autant que possible, ainsi que les mobilités douces telles que le vélo, la marche et les trottinettes, est crucial.

Qu’est-ce que France 2023 a concrètement mis en place pour accélérer cette transition ? 

Le principal volet concerne le partenariat majeur avec la SNCF, puisqu’elle est chargée de gérer entre 70 et 80% des déplacements des équipes via ses différentes filiales. Cela inclut non seulement les voyages en train, mais aussi en car, que ce soit pour le transport du matériel, des joueurs, ou les deux. C'est donc le premier élément important à souligner.

Bien entendu, une offre spécifique a été élaborée pour les spectateurs. Que ce soit pour ceux qui viennent en France à l’occasion de l’événement, ou pour ceux qui y résident déjà et qui souhaitent se déplacer à travers le pays. Par exemple, si quelqu'un habite à Toulouse et prévoit d'assister à un match du XV de France à Paris, des solutions par le train ont été mises en place pour faciliter ce déplacement et éviter le recours à l’avion.

J’ai également eu écho de la mise en place par France 2023 d'une plateforme de covoiturage. Cependant, il est important de noter que cette plateforme de covoiturage est soutenue par TotalEnergies, donc j’émets évidemment des réserves à ce propos.

On ne peut pas lutter contre le changement climatique et mettre en place tout ce qu’ils ont pu mettre en place durant la compétition tout en étant soutenus par TotalEnergies, qui est une des causes de ce même problème.

En outre, sur place, des efforts ont été déployés pour encourager au maximum l'utilisation des transports en commun. Étant donné que l'événement se déroule dans de grandes villes dotées de réseaux de transport en général bien établis et étendus, l'accent est mis sur ces options de mobilité. Ces villes connaîtront une augmentation notable du trafic durant cette période, et de nombreuses initiatives ont été mises en œuvre pour permettre aux spectateurs de se rendre à l'événement tout en limitant leur empreinte carbone.

Malgré une bonne volonté affichée, la Coupe du monde de rugby s'est donc associée à des partenaires qui posent question, comme TotalEnergies par exemple. Est-ce que ce n’est pas justement le signe d'une dualité entre les promesses et les actes ? 

Effectivement, c'est un problème majeur. On ne peut pas lutter contre le changement climatique et mettre en place tout ce qu’ils ont pu mettre en place durant la compétition tout en étant soutenus par TotalEnergies, qui est une des causes de ce même problème.

Je doute fortement qu'un événement sportif puisse avoir un impact positif sur l'environnement à l'heure actuelle.

Maintenant, le sport est dans une réalité économique qui l'incite à accepter ce soutien financier, et c'est ça qui est au cœur du problème. Il faudrait que le modèle économique du sport puisse se faire sans ce type d'acteur qui n’est là que pour communiquer sur ces activités qui, même s’ils essaient de parler des énergies renouvelables, sont quand même largement dépendantes des énergies fossiles. 

Le comité d'organisation de la Coupe du monde a décrit l'événement comme une compétition "à impact positif sur la société sur la planète". Est-ce factuellement vrai ? 

Cela sera à eux de le démontrer, et il faudra qu'ils rendent des comptes. Toutefois, je doute fortement qu'un événement sportif puisse avoir un impact positif sur l'environnement à l'heure actuelle. À mon avis, ce sont principalement des efforts de communication.

Bien sûr, ils mettent en œuvre des initiatives intéressantes, surtout sur le plan social, peut-être plus que sur le volet environnemental d'ailleurs. Cependant, il n'est pas nécessaire d'utiliser les grands mots pour expliquer les actions menées. On peut être un événement engagé sans prétendre être neutre en carbone ou avoir un impact uniquement positif. Ils ont effectivement un impact sur certains aspects de ce que l'on appelle la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE).

Il va donc falloir réduire un petit peu la voilure. Soit on le fait de manière volontaire et ça se passera bien, soit on le fait parce qu'on aura plus d’autres choix, ce qui pourrait alors être problématique pour un certain nombre d'acteurs. 

En ce qui concerne les volets sociaux, ils ont accompli un certain nombre d'actions très intéressantes, en partie grâce à leurs fonds de dotation. Il est important de reconnaître ces efforts, mais parfois, ils restent insuffisants ou entrent en conflit avec la réalité économique qui les a poussés à accepter certains soutiens, qui malheureusement, ne trouvent pas vraiment leur place dans le sponsoring sportif.

Un rapport réalisé par la start-up Sami imaginait à quoi pourrait ressembler une Coupe du monde compatible avec l'Accord de Paris. Elle proposait notamment de plafonner à 1% du total la présence des supporters non européens, afin de limiter le recours à l'avion. Selon vous, les compétitions sportives du futur seront forcément destinées à prendre cette direction-là ? 

Inévitablement, je pense que c'est une solution viable. Bien sûr, c'est facile à dire lorsque l'on se trouve dans des pays très développés, qui accueillent régulièrement ces événements. Cependant, je suis convaincu que nous devrons inévitablement en arriver là. De là à penser qu'elle se mettra en place facilement et rapidement, ça, j'ai beaucoup plus de mal à y croire. 

Maintenant, je pense qu'il faut effectivement régionaliser un peu plus, que ce soit à l’échelle continentale mais aussi nationale. À l’échelle du pays, on peut aussi régionaliser les matchs et les événements. Je ne suis pas certain qu’on prenne moins de plaisir à regarder un match entre 2 équipes qui sont très proches géographiquement, mais peut-être à un niveau un peu moindre. Au contraire, ça peut générer plus de ferveur et donc une économie qui sera peut-être aussi forte. 

Plus largement, il va donc falloir réduire un petit peu la voilure. Soit on le fait de manière volontaire et ça se passera bien, soit on le fait parce qu'on aura plus d’autres choix, ce qui pourrait alors être problématique pour un certain nombre d'acteurs. 

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