Recyclerie, Paris.
©V.Kuntsman/Shutterstock
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Les recycleries sont-elles amenées à disparaitre ?

Malgré leur grande popularité, ces paradis de la seconde main sont menacés par les start-up et les grandes entreprises. Et selon plusieurs acteurs du milieu, le modèle de financement de l'économie sociale et solidaire n'aide pas les recycleries à sortir la tête de l'eau. Décryptage.

Qui n’a jamais franchi la porte d’un Emmaüs à la recherche d’un meuble ancien, ou d’une veste trouvable nulle part ailleurs ? Comme chez Emmaüs, les 2 400 recycleries françaises récupèrent, réemploient et revendent les objets usagers ou d’occasion. Au-delà de leur mission de réemploi des déchets, elles participent à la vie locale, à l’emploi social et à la sensibilisation des enjeux écologiques.

Ce secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) a connu un succès fulgurant, à l’instar des friperies et d’un certain goût retrouvé pour la mode éthique. Mais selon plusieurs acteurs du milieu, leur modèle est menacé ces dernières années par les grands groupes comme les petites start-up, qui recherchent avant tout le profit

Le boom de la seconde main

L’application Vinted, créée en 2013, a trusté le marché du vêtement de seconde main. En 2019, elle devient la première "licorne" lituanienne, ces start-up dont la valeur est estimée à plus d’un milliard d’euros. Si elle conserve l’esprit de la mode circulaire, c’est au détriment des acteurs locaux, et avec une empreinte carbone bien plus élevé, de par l’envoi de colis aux quatre coins du globe. Selon Martin Bobel, porte parole du Réseau national des Ressourceries et Recycleries qui s'exprime dans les colonnes de La Relève et la Peste, "ces entreprises qui génèrent des milliers de tonnes de carbone en transport, des millions d’euros de bénéfices et qui se fichent pas mal des questions de solidarité et d’emploi sont en train de tuer le don".​​​​​​

Frantz Daniaud, fondateur de l’Ecrouvis, recyclerie de matériaux de construction à Saint-Nicolas-de-Redon (Loire Atlantique) tire la sonnette d’alarme. "Les clients ne font pas la différence entre une entreprise à but lucratif et une structure de l’ESS, dit-il. Pourtant leur impact social est bien différent !".

Concurrence dans le réemploi

L’urbaniste de formation a pu observer les évolutions récentes dans son secteur. Depuis 2022, la filière du bâtiment est soumise à la "responsabilité élargie des producteurs" (REP). Existante depuis les années 1990, la REP impose aux entreprises de gérer de la fin de vie de leurs produits, et par extension, de leur réemploi. Des structures collectives à but non lucratif, nommées "éco-organismes", sont financées par les sociétés des secteurs concernés pour assurer cette prise en charge.

Le modèle est vertueux sur le papier et permet à l’État de renvoyer les entreprises à leurs responsabilités écologiques. Mais selon Frantz Daniaud, certains éco-organismes ont "un peu tous pouvoirs". Car les structures de l’ESS doivent négocier avec eux pour obtenir des biens et espérer un soutien financier. Avec le soutien des grandes sociétés, les éco-organismes captent l’essentiel des produits revalorisables. Frantz Daniaud résume : "les acteurs traditionnels du déchet vont capter les flux les plus intéressants, puis on nous dit 'faites du social' avec ce qui reste". Sur la vingtaine d’éco-organismes qui existent en France, seuls quatre proposent des conventions avec les structures de l’ESS. "C’est très bien que ces grands acteurs se saisissent du sujet, mais l’enjeu c’est le juste partage des richesses", conclut Frantz Daniaud.

Un secteur de l'ESS faiblement subventionné

"L’idée [de la REP] est de soulager financièrement les collectivités en engageant un transfert des coûts du secteur public au privé", écrit Helen Micheaux, maître de conférences à AgroParisTech, dans une étude sur le sujet. Selon Frantz Daniaud, l’Ademe, opérateur historique du réemploi, a redirigé ses aides vers les éco-organismes au détriment des recycleries. "Ces structures d'intérêt général [...] pâtissent d'un soutien insuffisant de la part des pouvoirs publics, d'un sous-financement criant de la part des éco-organismes, et ont lourdement souffert suite à la suppression brutale des contrats aidés en 2017", abonde dans un communiqué le Réseau national des Ressourceries et Recycleries.

Depuis l’année dernière, les subventions de l’État pour soutenir le réemploi sont fléchées vers l’économie sociale et solidaire, mais uniquement sur les filières de l’électronique et l’électroménager. Les autres secteurs du réemploi, comme le bâtiment, ne peuvent qu'obverser la diminution de leur chiffre d’affaires. Dans un rire jaune, Frantz Daniaud constate : "les bonnes idées aussi sont récupérées !".

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