Jacques Attali, président de Positive Planet
D.R
Tribune

Jacques Attali : "Toute finance sera bientôt positive"

La construction d'un avenir durable ne se fera qu'au prix d'une mutation du secteur financier vers une prise en compte systématique d'enjeux environnementaux et sociaux de long terme, explique dans une tribune à ID l'économiste et Président de Positive Planet Jacques Attali. 

Tout dans notre monde pousse, on le sait, à la tyrannie de l’instant. Nous sommes, chacun dans nos vies, attirés en permanence par des informations nouvelles, souvent sans importance, et par des sollicitations de toutes natures, en général marchandes, qui nous éloignent de l’essentiel. Nous le sommes aussi comme consommateurs, comme travailleurs, et comme épargnants. Les hommes politiques en sont aussi victimes, soumis aux caprices de leurs électeurs, reflétés par des sondages d’opinion, dont la fonction est en général de mettre l’accent sur des sujets d’actualité, rarement sur des sujets de fond.

Les entreprises sont soumises à la même dictature, obligées qu’elles sont de suivre les caprices de leurs consommateurs, et de leurs actionnaires. Et ceux-ci sont de plus en plus mobiles, flexibles, déloyaux, allant là où la rentabilité est la meilleure dans la milliseconde suivante. Un tel monde n’est pas durable. Il ne peut que courir à sa perte, à force de préférer sans cesse l’urgent à l’important. Non seulement pas durable écologiquement, mais aussi socialement, car il pousse à la concentration des revenus et des richesses, et à l’abandon des plus fragiles.

On en voit la manifestation la plus cruelle dans la façon dont sont délaissées les infrastructures : les ponts, les routes, les bâtiments publics sont souvent délabrés, même dans les pays les plus puissants du monde. L’Allemagne et les États-Unis en fournissant des exemples paroxystiques. Si l’on veut que cela change, il faudra que, chacun de nous, dans notre vie quotidienne, nous nous conduisions comme si chacun de nos gestes avaient un impact sur ce qui doit nous être le plus cher : le sort des générations futures.

Le sort de nos enfants. Et des enfants de nos enfants. Nous le faisons, en général, avec nos propres enfants, à qui nous aimons à sacrifier quelques plaisirs, ou dépenses personnelles, pour leur assurer la meilleure éducation possible. Nous devrions le faire pour tous les enfants du monde, parce que c’est d’eux que dépend la survie du monde, et la nôtre. Pour y parvenir, dans ce monde où l’argent domine tout, rien ne serait plus important que de conduire, progressivement, la finance à devenir positive ; c’est-à-dire réussir à inciter les financiers, dans leur décision d’investir, à tenir compte des enjeux du long terme et pas seulement de la rentabilité la plus immédiate.

Cela commence à apparaitre. On voit déjà des fonds d’investissements publics et certains grands fonds privés dire ouvertement que, parmi leurs critères d’investissement, il y aura désormais l’impact sur l’environnement des entreprises dans lesquelles elles participent. C’est un début. Et l’impressionnante campagne, qui démarre, lancée par les églises, à l’échelle mondiale, pour demander aux épargnants et aux financiers de sortir leur argent de toute entreprise produisant une énergie fossile pourra sans doute être considérée comme un moment historique. De même, beaucoup d’indicateurs de la responsabilité environnementale se développent que bien des entreprises s’efforcent de respecter.

Mais l’écologie n’est pas tout. Et pour qu’un monde soit durable, positif, il ne suffit pas qu’il ne soit pas nuisible au climat. Il faut aussi qu’il soit durable socialement, que la connaissance y soit une priorité majeure, qu’il forme les nouvelles générations, que les femmes y aient toute leur place, que la démocratie y soit vivante, et que la méritocratie remplace le népotisme et la corruption. C’est cet ensemble qui forme la "positivité" du monde.

Pour aller plus loin, on peut donc rêver d’un monde où les épargnants choisissent où placer leur argent en fonction du caractère plus ou moins "positif" du véhicule financier qui leur est proposé. Et on peut espérer voir les entreprises mesurer leur "positivité", pour attirer des fonds d’investissement qui se seront engagés à n’investir que dans ces secteurs d’activité, améliorant la positivité de la collectivité.

La Fondation Positive Planet, et sa filiale, ‘L’institut de l’Économie Positive’, veulent aider tous les acteurs à agir en ce sens. Nous avons développé pour cela des "indices de positivité" qui mesurent en quoi une entreprise est durable socialement et écologiquement, au regard de plus de 40 critères. Nous avons aussi des indices de positivité des pays, et des territoires. Et nous sommes en train de développer, pour des grandes fondations, et pour des fonds d’investissement, des indices de positivité de leur portefeuille. Il faudra aussi que cela s’applique aux budgets nationaux, qui devront être capables de démontrer, année après année, en quoi ils servent l’intérêt des générations futures.

Ce n’est que lorsque la finance mondiale aura compris que c’est son intérêt, même selon le seul critère de la rentabilité, que d’être positif, qu’on pourra dire que le sort des générations futures est entre de bonnes mains.

Jacques Attali - Président de Positive Planet

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