Vue sur les îles Lofoten, dans l'Arctique norvégien.
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Analyses

Dilemme énergétique en Norvège : la bourse ou la Terre ?

La Norvège est à la fois l'un des pays les plus verts au monde, tout en contribuant largement au développement des hydrocarbures. Depuis quelques années cependant, les décisions politiques économiques commencent à prendre en considération l'urgence climatique. Zoom sur ce pays à deux faces.

La Norvège est l'un des premiers pays d’Europe en matière de production d’hydrocarbures : le pétrole et le gaz naturel représentent la moitié des exportations et 20 % des revenus du pays. Ces revenus affluent vers le fonds souverain, dans lequel le gouvernement pioche ensuite pour financer ses mesures. 

Une économie très dépendante du cours du prix du pétrole

Un fonds souverain et un fonds de placements financiers détenu par un État. Le "fonds pétrolier souverain norvégien" - officiellement appelé le "Government Pension Fund-Global" - constitue le plus gros fonds souverain au monde et pèse plus de 1 000 milliards de dollars. Le gouvernement norvégien a annoncé en mars que le fonds souverain allait se désengager de compagnies pétrolières. Cette décision repose essentiellement sur des considérations financières, mais elle représente un coup dur porté au secteur des énergies fossiles. Elle ne constitue pas une "mesure de politique climatique" mais bel et bien "une stratégie d'investissement" d'après la ministre des Finances, Siv Jensen. Pourtant, si elle n'a pas été prise en vue de protéger l'environnement, cette décision a bel et bien été guidée par les conséquences nées de la transition écologique. 

Cette décision a en effet été soufflée par la Banque de Norvège - la Norges Bank - qui constate, dans un rapport rendu en novembre 2018, que le fonds souverain doit "prendre en compte les effets à long terme du changement climatique sur sa stratégie". Ces désinvestissements permettraient de "réduire et disséminer les risques" liés à la chute du prix du pétrole et ainsi réduire l’exposition des finances publiques au marché des hydrocarbures, dont le recul est lié à la transition énergétique d'après Siv Jensen. Le gouvernement a ainsi prévu que ce fonds soit désormais davantage tourné vers des investissements dans les énergies renouvelables, principalement dans le solaire et l’éolien. 

Quelles que soient les motivations à l'origine de cette décision, elle représente un succès important pour les défenseurs de l’environnement. Yossi Cadan, un responsable de l’ONG 350.org, affirme que "cela produira une onde de choc sur le marché, portant le plus grand coup à ce jour à l’illusion que le secteur des énergies fossiles a encore des décennies d’activité comme si de rien n’était". 

Exploitation des hydrocarbures : la fin est proche ? 

Bonne nouvelle ! Avec le soutien du parti d'opposition travailliste, le Parlement a récemment voté contre un projet de forage dans les îles Lofoten - dans l’Arctique norvégien. Il s’agit d’une zone abritant une grande biodiversité ainsi que la plus grande barrière de corail en eaux froides. Ce projet représentait un gain de 65 milliards de dollars avec entre un et trois milliards de barils de pétrole. 

Les défenseurs de l'environnement ne comptent pas en rester là. Ce lundi 29 avril, quatre militants Greenpeace sont montés à bord de la plate-forme West-Hercules pour dénoncer les risques liés au forage dans l’Arctique. "Nous sommes en pleine crise climatique, dans une situation qui ne peut tolérer un surcroît de pétrole, aussi devons-nous manifester notre résistance, par tous les moyens dont nous disposons", a expliqué Frode Pleym, qui dirige Greenpeace Norvège. Ces militants ont à plusieurs reprises réussi à grimper sur ce type de plateformes ces dernières années et mènent actuellement une campagne contre le forage dans la mer de Barents.

La ministre des finances, Siv Jensen, a cependant réaffirmé dans un entre­­tien avec Le Monde sa conviction selon laquelle "cette indus­­trie restera une source majeure de reve­­nus et d’in­­ves­­tis­­se­­ments pour notre pays pendant des décen­­nies encore".

Un pays à la pointe en termes d'électrification des transports

Malgré le caractère indissociable du marché des hydrocarbures vis-à-vis de l'économie norvégienne, le pays compte parmi les plus propres au monde en termes d'émissions de gaz à effet de serre. Cela repose en grande partie sur l'utilisation d'énergie hydro-électrique par les ménages, et sur l'électrification des réseaux de transports. 

La Norvège vise à ce que toutes les voitures vendues ne polluent plus à partir de 2025. Le pays incite ses citoyens à se tourner vers l'électrique en offrant des avantages considérables aux chauffeurs l'ayant adopté, tels que des péages à prix réduits et des exemptions de taxes. Dans ce pays qui compte cinq millions d’habitants, plus de 46 000 voitures électriques à batteries ont été achetées en 2018 - contre 31 000 en France - ce qui représente plus d'un tiers des voitures vendues. En 2017 déjà, la vente de voitures électriques et hybrides représentait 52,2 % des ventes, contre 40 % en 2016. 

Les autorités veulent aller plus loin et inciter davantage à délaisser les carburants polluants pour des véhicules "zéro-émission". La ville d'Oslo par exemple s'est fixé un objectif : d'ici à 2023, tous les taxis de la ville devront être "zéro émission". Mais le principal obstacle à l'électrification de la totalité des taxis de la ville repose sur l'inefficacité des infrastructures qui y sont liées. Réduire les temps d'attente de chargement pourrait encourager les chauffeurs de taxi à se tourner vers l'électrique et à devenir neutre en termes d'émissions de CO2. Une nouvelle technologie sera prochainement développée par l'entreprise norvégienne Fortum et la firme américaine Momentum Dynamics, en partenariat avec la ville d'Oslo : des plaques de chargement seront installées au sol et reliées au récepteur du véhicule qui pourra être chargé durant le temps d’attente des chauffeurs.

La Norvège a également pour ambition d'électrifier 100 % des vols intérieurs d’ici 2040. Cette promesse a été faite en 2018 par les autorités aéroportuaires : une première liaison aérienne électrique devrait voir le jour en 2025. Cette électrification, le recours aux solutions hybrides ou aux biocarburants permettront de réduire partiellement les émissions de gaz à effet de serre du pays, dont 2,4 % sont émises par le transport aérien. 

Voitures, taxis, avions... bateaux ? Le secteur maritime n'est pas oublié et fait également l'objet de nouvelles considérations environnementales. En mai 2018, le parlement norvégien a voté un projet de loi visant à interdire la circulation des bateaux polluants dans les fjords, au profit des bateaux électriques. La mesure doit prendre effet en 2026. En 2006, une étude de l'Institut norvégien d'aéronautique dévoilait que, certains jours de forte affluence, l'indice de pollution du fjord Geiranger pouvait atteindre un niveau comparable à celui de grandes villes telles que Londres ou Barcelone. Cette nouvelle restriction devrait donc fortement contribuer à préserver ses paysages époustouflants du pays des fjords.