Rappelons qu’en décembre dernier, la Cour d’appel de Rennes a débouté les parents d’une fillette décédée d’une leucémie en mars 2022, à 11 ans et demi. Les parents demandaient une indemnisation pour le préjudice subi par leur fille. La mère avait été exposée dès la vingtaine à des herbicides dans le cadre de sa profession de fleuriste et grossiste en fleurs.
Les parents avaient saisi en avril 2022 le Fonds d’indemnisation des victimes, chargé d’indemniser les enfants exposés aux pesticides pendant la période prénatale à cause du métier de leurs parents et ayant développé une pathologie. En juillet 2023, ils obtenaient par celui-ci la reconnaissance du lien entre l’exposition aux pesticides et la leucémie, et la proposition d’une indemnisation de 25 000 euros à chacun au titre du préjudice moral.
Le 20 janvier dernier, on apprenait alors la saisine par l’association Robin des Bois de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Les Ministères chargés du Travail et de l’Agriculture en ont fait de même.
La saisine porte sur “les risques de l’exposition aux pesticides et résidus de pesticides des travailleurs de la filière horticole des végétaux d’ornement (fleurs coupées en en pots)”.
Dans ce contexte de questionnements, Farell Legendre, président de la Fédération Française des Artisans Fleuristes, a pour sa part tenu à préciser que le métier de fleuriste était “une passion sans danger, encadrée et sécurisée”. ID est revenu avec lui sur le sujet.
Comment réagissez-vous à l’annonce de l’expertise qui va être menée par l’ANSES ?
C’est une étude que je salue, je trouve cela très bien et je ne peux que m’en réjouir. Sur le plan de la santé et de la sécurité, le rôle de la Fédération est de faire la promotion des bonnes pratiques. Dès l’instant où un fleuriste entre en formation, il a des cours par rapport à l’hygiène et à la sécurité. Il y a des choses sur lesquelles nous nous sommes penchés comme le port de tablier et de gants. Dès que des jeunes entrent en formation, ils sont sensibilisés à cela.
Pour le coup, des résidus de pesticides, oui, il y en a. Cette étude de l’ANSES va permettre d’avoir une analyse objective et transparente de la situation. (...)
Vous comprenez donc cette décision, dans le contexte qui est celui de la fillette décédée d’une leucémie...
Oui, cette affaire a été largement relayée dans les médias. Bien entendu, l’ensemble des fleuristes et au-delà, partagent la peine de ces personnes. Une indemnisation ne compensera jamais la perte d’un enfant. C’est terrible, c’est affreux. Cela suscite effectivement des interrogations concernant les risques liés à notre profession. C’est certain. Mais à ce jour, c’est un des très rares cas qui nous est rapporté, qui met en cause la santé des professionnels dans notre secteur.
On va donc avoir deux études complémentaires et concomitantes."
En tout cas, aujourd’hui, il y a des questionnements auxquels cette étude va peut-être permettre de répondre ?
Bien entendu. Je tiens à ajouter qu’en parallèle, une autre étude est conduite par l’interprofession VALHOR sur les résidus phytosanitaires. On va donc avoir deux études complémentaires et concomitantes. Je trouve que c’est une excellente chose. À la différence de produits qui rentreraient dans l’alimentation, aujourd’hui il n’y a pas d’obligation faite au végétal ornemental d’avoir ce contrôle sur les résidus. Ça va aussi permettre d’éclaircir tout cela.
Concrètement, quand un fleuriste va s’approvisionner à Rungis par exemple, a-t-il accès à des fleurs écolabellisées ?
Pour le coup, quand on dit qu’il manque de labels, ce n’est pas le cas. Il existe des labels français comme Fleurs de France, Plante Bleue... Ces labels existent et on en a aussi à l’international, type MPS. Il y a des initiatives comme le FSI... Aujourd’hui, un fleuriste est en capacité de trouver cette information même si effectivement, ce n’est pas quelque chose qui va sauter aux yeux.
Dans votre communiqué, je lis que la filière travaille activement sur la recherche d’alternatives aux produits phystosanitaires et sur la labellisation... C’est donc qu’on considère qu’il y a des choses à faire ?
En tout état de cause, il y a des choses à faire. (...) Mais je précise que ces dernières années, les pratiques en production ont évolué. Il y a des initiatives, même si certaines sont marginales. Je prends l’exemple de la fleur bio. Pour les fleurs françaises, on a un cahier des charges strict. Énormément de molécules sont interdites à l’utilisation parce que non brevetées.
Aujourd’hui, par rapport au disponible global, la fleur française représente 16 %.
Vous estimez donc qu’au niveau de la fleur française, le cadre est strict ?
Il y a des cahiers des charges, on a une réglementation, mais je ne veux pas non plus opposer les modèles. Pour les fleurs en import, les gens ne nous ont pas non plus attendus pour mettre aussi en place des initiatives respectueuses de l’environnement. On est dans une économie mondialisée, en France on a un système très contraignant, c’est clair, net et précis. Mais ce n’est pas pour autant que c’est le Far West à l’étranger sur les fleurs qui sont d’import.
Il existe des labels, il y a des fermes florales labellisées...
Aujourd’hui, le problème des fleurs françaises, c’est qu’il y en a peu ?
Aujourd’hui, par rapport au disponible global, la fleur française représente 16 %. Des projets ont été portés, comme le projet Bleu Blanc Fleurs, on demande le renouveau de la fleur française. En tant que président de Fédération, j’appelle à avoir plus de produits français.
Nous avons certaines spécificités. Par exemple, la pivoine française qui est un produit phare. Aussi l’anémone, la renoncule... On a en France des produits stars. Le trou dans la raquette, c’est qu’on est quasiment que sur des exploitations qui ne sont que mono-variétales. Aujourd’hui en tout cas, le disponible par rapport à de la production française est trop limité. J’aimerais qu’il y ait à terme une véritable volonté des pouvoirs publics de redévelopper cette filière. (...)
On parle de souveraineté alimentaire : moi j’appelle aussi à une forme de souveraineté végétale. On se doit de l’avoir. Rappelons-nous qu’au début du 20e siècle, l’agriculture était un véritable pilier de notre économie. (...)
Pour que la fleur française se développe, il faut forcément qu’il y ait une demande... Ça passe par rappeler à tous qu’à la Saint-Valentin, il faut plutôt offrir des renoncules que des roses, par exemple ?
Nous axons le discours, en tant que fleuristes et fleuristes adhérents à la Fédération, sur la saisonnalité du produit. Effectivement, en ce moment, on est sur les renoncules. Nous avons toutes les fleurs de printemps, les anémones... On va avoir les violettes, qui sont des fleurs emblématiques. Je me souviens de mon grand-père qui offrait à ma grand-mère des bouquets de violettes au printemps.
Il y a toute une éducation à refaire. Nous avons été habitués, dans notre société de consommation, à avoir des produits normés, calibrés, il y a une sorte d’uniformisation.
Il faut aussi s’axer sur le local, et le local, c’est 250 km. Typiquement, pour un fleuriste à Nice, le marché de Sanremo en Italie est à moins de 250 km. Pour le fleuriste du Nord, la Belgique, c’est du local.
De toute façon, c’est le consommateur qui fera l’arbitrage. Par contre, sans enlever la symbolique de la rose, on se doit d’être transparent avec lui en lui disant “si vous achetez une rose rouge maintenant, est-ce une rose européenne, ou vient-elle de Colombie ou de l’Équateur ?”
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Le travail de traçabilité du fleuriste est parfaitement ancré. Le “sourcing” est extrêmement important. On essaie de se décarcasser pour trouver le plus beau produit, sur lequel on a une visibilité et avec l’idée que ce produit transmette une émotion.
Les labels sont mis en avant et les gestes de protection aussi. On cherche à protéger nos collaborateurs et on fait un “update” permanent aux bonnes pratiques.
Maintenant il faut attendre les résultats de l’expertise de l'ANSES...
L’étude va durer 21 mois, elle va prendre un certain temps. (...) La Fédération reste mobilisée pour accompagner les fleuristes au quotidien, garantir leur sécurité et valoriser le métier.