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Santé

Que faisons-nous de nos mains ?

Face à des métiers de plus en plus cérébraux, certains ressentent le besoin de remettre leurs mains au travail.

Certains tapotent sans cesse sur leur Smartphone, d'autres fument, quelques-uns gribouillent pendant les réunions… Si l'on y prête attention, on remarque rapidement qu'il est rare que nous ne fassions rien de nos mains. Pour les psychologues, nos petits gestes du quotidien sont une porte ouverte sur notre inconscient. Le psychanalyste britannique Darian Leader vient ainsi de leur consacrer un ouvrage entier: « Mains. Ce que nous faisons d'elles et pourquoi » (éd.Albin Michel). Une question qui va bien plus loin que nos simples tics et qui a un écho particulier pour ceux qui ont ressenti le besoin de remettre leurs mains au travail.

Un rapport charnel à nos Smartphones

Parmi eux, le philosophe-mécanicien Matthew Crawford. Dans son ouvrage « Eloge du carburateur » (éd. La Découverte), il interroge le clivage instauré dans nos sociétés entre travail intellectuel valorisé et travail manuel déprécié. De manière plus individuelle, Darian Leader explique qu'il est illusoire de vouloir un monde où nous serions déchargés de toute forme d'activité manuelle : pour preuve, il avance l'exemple de nos Smartphones, avec qui nous avons malgré tout un lien charnel. Nous les manipulons, passons nos doigts dessus, appuyons sur des boutons,... « Les technologies actuelles qui raréfient l’utilisation des mains n’ont guère de succès. Google Glass, par exemple, qui relevait d’un monde où tout serait déterminé et actionné par la voix, est un projet abandonné », illustrait le psychanalyste dans un entretien au Figaro.

L'activité manuelle comme thérapie

Ce besoin de faire quelque chose de ses dix doigts se ressent à travers la vogue pour les activités manuelles : tricot, poterie, scrapbooking, jardinage, cuisine… Les ateliers et cours sont remplis, en particulier dans les grandes villes qui concentrent le plus de professions intellectuelles. Marie, 30 ans, est éditrice en région parisienne. Parallèlement à ce métier cérébral s'il en est, elle s'est prise de passion pour le tricot : « En moyenne, je tricote 2 à 3 heures par jour, témoigne-t-elle. Il me faut ma dose quotidienne. » Cette activité a pris une place encore plus importante dans sa vie depuis qu'elle a ouvert son blog, 99 moutons, et qu'elle participe à des « apéros-tricot » ou des « trico-thés » : « Quand on tricote, ça permet d'oublier un peu ce qui s'est passé dans la journée. Je ne mets pas le cerveau en pause parce qu'il faut que je reste attentive à ce que je fais, mais je me concentre sur le tricot et ça me détend. »

Patience, application, mais aussi lâcher-prise sur les pensées : pour Emmanuelle Turquet, l'activité manuelle peut être une véritable thérapie. La jeune femme a lancé la « Cuisine-thérapie » et donne des formations destinées à reprendre confiance en soi : « J'ai fait une école de commerce et j'ai travaillé pendant 15 ans dans une grande entreprise, raconte-t-elle. J'ai toujours cuisiné mais en me prenant la tête, avec des recettes, le stress de les réussir… Quand j'ai découvert le lâcher-prise, en cuisinant sans recette, en oubliant le perfectionnisme et le besoin de contrôle, cela m'a permis de reprendre confiance en moi. » Eplucher une carotte, surveiller un bain-marie, faire prendre une mayonnaise : des activités simples qui requièrent pourtant pas mal d'attention et « permettent de se reconnecter avec soi et son inconscient », estime Emmanuelle Turquet.

Changer la société par le potager

Comme Emmanuelle, de plus en plus de diplômés se détournent des métiers intellectuels : d'après les chiffres de l'Apec, sur 14 % de jeunes diplômés de niveau Bac+5 qui se sont réorientés dans les deux ans après l'obtention de leur diplôme, 7 000 d'entre eux sont allés vers des métiers artisanaux. Le besoin de reprendre le contrôle de nos mains ne touche toutefois pas uniquement ceux qui étaient destinés à ne les utiliser que sur un clavier d'ordinateur : après quelques années passées comme homme à tout faire pour un magasin de fruits et légumes du nord de la France, Jérémy, 28 ans, a fait un burn-out.

Pour se relever en douceur, il s'est mis au jardinage et publie régulièrement des tutoriels sur sa page Youtube, Le potager pour les nuls. « Quand je vais au potager, je suis zen. C'est une activité physique, un peu comme faire du sport », explique Jérémy. Le jeune homme emmène souvent ses enfants avec lui et se réjouit de les voir participer au ramassage des feuilles ou aux plantations. « Au moins, ils savent reconnaître une courgette », sourit-il. Car se remettre à utiliser ses mains peut aussi être une manière de transformer la société : « Je ne veux plus acheter de fruits et légumes en magasin, parce que j'ai vu comment ça se passait chez les professionnels. Maintenant, je suis autonome et je sais d'où vient ce que je mange », explique Jérémy.