Océan Arctique, au large du Groenland
©MrPhotoMania/Shutterstock
Sondage

Changement climatique : 3 questions à Juliette Mignot, océanographe

Nous avons rencontré Juliette Mignot, océanographe spécialisée dans l'étude des variations du système climatique. L’occasion de faire le point sur certains des enjeux liés au changement climatique.

La vague de froid que connait l’Hexagone est-elle liée au changement climatique ? Difficile à démontrer, mais pas impossible, expliquent les scientifiques. Juliette Mignot est océanographe à l’institut de recherche pour le développement (IRD) et membre du laboratoire LOCEAN (UPMC). Ses recherches portent sur les variations du système climatique, et en particulier sur le rôle de l’océan. Nous lui avons posé quelques questions pour comprendre les enjeux actuels liés au changement climatique, à travers son regard de spécialiste du climat.

©Juliette Mignot

Concrètement, quels sont les effets du changement climatique, notamment sur les océans ?

Le changement climatique affecte directement l’océan et ce à plusieurs niveaux. Au niveau physique, c’est-à-dire des courants marins, il y a des effets d’emballement, en particulier du courant marin en Atlantique qui a lui-même un rôle sur le climat. Non seulement on réchauffe le climat et l’air, mais en plus en déréglant l’océan, on risque d’amplifier encore ce phénomène dans les zones aux plus hautes latitudes, puisque l’on retire le rôle régulateur du courant marin.

Il y a également des impacts chimiques/biologiques. Le réchauffement climatique va avec l’augmentation du gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère. Ce gaz carbonique a tendance à entrer dans l’océan. Une fois qu’il est dans l’océan, il ne reste pas sous forme de bulles, mais se transforme en éléments chimiques, des ions acides. Cette acidification des océans a un impact très fort sur le corail notamment, mais également sur l’ensemble de la biodiversité. Quand l’océan se réchauffe, c’est comme sur la terre où l'on observe des migrations d’espèces qui voient leur habitat et leur saisonnalité modifiés. Dans l’océan, il se passe exactement la même chose avec des saisonnalités et alternances de températures qui changent. Cela implique une température globalement plus chaude et donc des espèces de poissons qui migrent ou qui n’arrivent pas à survivre dans des eaux plus chaudes.

En France, les effets du dérèglement pourront être l’augmentation des canicules, la migration des espèces animales mais également végétales : des forêts de pins jusqu’à Orléans ou des vignobles typiques du bordelais jusqu’au nord de la France. S’agissant du changement de saisonnalité, le début du printemps arrive de plus en plus tôt, avec un bourgeonnement de plus en plus précoce. L’exemple que l’on donne est celui du chevreuil qui donne bas fin avril. Le bébé chevreuil qui va naître à cette période n’aura plus de jeunes pousses pour se nourrir. Il n'y aura plus de bourgeons mais des petits arbustes, que le chevreuil ne pourra pas manger. Donc la mortalité a tendance à augmenter.

Le réchauffement climatique peut-il être endigué ou au moins limité ? Et que peut-on faire pour qu’il le soit ?

Pour prévoir le climat à venir, on travaille sur la base de plusieurs scenarios. Selon les plus drastiques d’entre eux, qui impliquent une séquestration du dioxyde de carbone atmosphérique (émissions négatives) il est possible, d’ici 2100, de maintenir la température autour de 1°C de plus que la température pré-industrielle, et donc d’endiguer un peu le réchauffement climatique. Mais ces scenarios impliquent des réductions absolument drastiques, qui vont même au-delà de certains accords comme l’Accord de Paris et nécessiteront des volontés politiques très fortes pour se produire. Beaucoup plus fortes que ce que l’on a pu voir ces dernières années. Une augmentation de l’ordre de 2°C (comme envisagé actuellement) serait déjà un changement. Mais s’il y avait déjà une prise de conscience permettant d’atteindre cet objectif, ce serait déjà formidable.

Savoir ce que l’on peut faire concrètement est une question qui dépasse mon expertise. Ce que je peux dire, c’est que pour les scientifiques, il n’y a pas débat. L’augmentation des GES d’origine humaine entraine un dérèglement climatique, avec des conséquences. Ce qu’il faut faire, c’est limiter l’émission des GES, ce qui signifie moins de consommation énergétique et le développement des sources d’énergies renouvelables. Il y a aussi des prises de conscience individuelles. On peut utiliser son pouvoir d’achat pour acheter des énergies propres, essayer de consommer sa nourriture ou ses objets de façon plus durable.

On a tendance à associer les phénomènes climatiques extrêmes -tels que la vague de froid qu'a connue l'Europe cette semaine- au changement climatique. Ces épisodes sont-ils amenés à se répéter ?

Est-ce que la vague de froid est directement liée au dérèglement climatique ? Je ne peux pas m'avancer sur ce point. Ce que je peux dire toutefois, c’est que c’est envisageable, en raison de la nature du phénomène et de ses masses d'air. Pour ce qui est d'autres évènements tels que l’augmentation des cyclones tropicaux, on sait que leur énergie vient entre autres de la température de l’eau. Plus la température de l’eau est chaude, au-delà d’un certain seuil, plus cela va donner d’énergie à la masse d’air pour se développer en cyclone. Ainsi, en raison du réchauffement climatique et donc du réchauffement de l’océan, notamment de sa surface, on atteint plus facilement le seuil de déclenchement des cyclones.

Sondage

Vous sentez-vous suffisamment informé des conséquences du changement climatique ?

Choix