Dans le plus grand hôpital de Corse, "l'ère de la débrouille"

Dans un couloir de l'hôpital de Bastia, coincée entre deux brancards où sont allongés d'autres malades, une vieille dame à moitié dévêtue se tasse sur un fauteuil. "Il manque de tout, c'est l'ère de la débrouille!", peste un aide-soignant, une étiquette "solidarité avec les grévistes" collée sur sa blouse blanche.

Depuis le 30 octobre, huit employées ont suivi, à tour de rôle, une grève de la faim soutenue par la CGT, pour alerter sur la situation de l'hôpital, en déficit cumulé de près de 50 millions d'euros.

"On manque de médicaments à la pharmacie de l'hôpital, du coup on s'approvisionne dehors", déplore Viviane Albertelli, aide-soignante et déléguée CGT. Pascal Forcioli, le directeur du CHU, admet qu'"on doit 26 millions d'euros aux fournisseurs, dont certains n'ont pas été payés depuis 2016". "Il y a des ruptures dans certains services, mais dès que nous en sommes avertis, nous réglons les factures les plus urgentes pour que les fournisseurs débloquent les livraisons concernées", assure-t-il à l'AFP.

Dans le hall tapissé de banderoles de protestation, une femme aux traits tirés est applaudie par une trentaine de soignants: c'est Josette Risterucci, représentante CGT, en grève de la faim continue depuis quatre semaines. Cette secrétaire médicale de 59 ans demande "un plan Marshall" pour l'hôpital.

"Le projet de modernisation est reporté de quatre ans en quatre ans depuis vingt ans, maintenant on est à bout", accuse cette militante chevronnée, également en lice pour les élections territoriales (liste PCF).

En janvier, la Cour des comptes avait épinglé la gestion financière des hôpitaux de Bastia et d'Ajaccio, pointant du doigt "des déficits considérables, malgré le versement périodique d'aides exceptionnelles importantes".

"Nous sommes sur une trajectoire de redressement, le déficit de 2016 (3,8 millions d'euros) a été considérablement réduit par rapport à 2015 (7,2 millions)", nuance Pascal Forcioli. Le directeur fait valoir la particularité insulaire, notamment l'"obligation de tenir certaines activités pas rentables pour lesquelles il faut maintenir un plateau technique coûteux", comme la néonatalogie ou la neurochirurgie.

- "désespérance, sentiment d'injustice"-

Une déléguée CGT des cadres supérieurs de santé, Marie-Laure Faber, juge "dramatique de laisser cet hôpital dans cet état alors que c'est le seul de Haute-Corse qui a un service de réanimation par exemple".

Aux urgences, où les patients sont auscultés dans une pièce ouverte sur la salle d'attente, la vétusté est criante. Les secrétaires du service travaillent dans une pièce sombre où a aussi été entreposé le serveur informatique de l'hôpital. Comme dans d'autres pièces du rez-de-chaussée, le faux-plafond laisse filtrer de l'eau qui goutte dans une bassine à quelques centimètres des câbles du serveur.

La direction de l'hôpital a chiffré les travaux à 25 millions d'euros sur cinq ans, sans compter ceux déjà entrepris pour remettre à jour le système de sécurité et d'incendie et rénover les blocs opératoires, dont trois ont dû être fermés en pleine saison estivale.

Pascal Forcioli estime que "la grève de la faim démontre un état de désespérance et un sentiment d'injustice lié à une inéquité territoriale, on a le sentiment d'être moins aidé que d'autres". A Ajaccio, un nouvel hôpital doit être livré début 2018.

L'Agence régionale de santé (ARS) de Corse a annoncé mi-novembre pour le CHU de Bastia le déblocage d'une subvention d'investissement de 3 millions d'euros, ainsi qu'une enveloppe de 200.000 euros pour le renouvellement d'équipements médicaux. Un complément de crédits de trésorerie nécessaire sera alloué en fin d'exercice, assure l'ARS dans un communiqué.

Le ministère de la Santé, interpellé par les personnels, a fait valoir son devoir de réserve, les Corses étant appelés aux urnes le 3 décembre pour des élections territoriales.

Il devra aussi faire face à la grogne d'un autre établissement de santé corse, l'hôpital de Castellucio (Ajaccio), spécialisé en psychiatrie. Des grévistes qui demandent des travaux d'urgence dans cet établissement, occupent les locaux de l'ARS depuis la fin octobre.

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