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Culture

Quand l'économie sauve la culture

Malgré son dynamisme, le secteur culturel et artistique souffre de plus en plus des baisses des subventions publiques. Les crises et la globalisation mettent continuellement à l’épreuve la démocratie culturelle à la française. Loin de se laisser abattre, les acteurs d’une autre économie s’organisent sur les territoires. Ils font naître de nouvelles coopérations bénéfiques au développement de la culture. Le point sur des initiatives qui font bouger les lignes.

Ces dernières années, le décompte est impressionnant : des centaines de festivals annulés et de structures supprimées dans les champs de la musique, de la danse, du théâtre, des arts plastiques ou d’autres domaines culturels. L’événementiel, le spectacle vivant et la création artistique sont les plus impactés par les restrictions budgétaires, en particulier au niveau des départements et des villes. Les bibliothèques et le patrimoine sont généralement mieux préservés, mais nul n’est à l’abri. Même le célèbre Musée des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon a été menacé de fermeture et sauvé in extremis, en octobre 2017.

De nouveaux modèles hybrides

En France, le développement de la culture a longtemps été porté par les associations. Dorénavant, certains acteurs culturels s’en détournent pour inventer d’autres modèles, créateurs d’emplois. Ils gardent en ligne de mire, la coopération et la gouvernance partagée. C’est une troisième voie qui émerge entre l’économie de marché et la forte dépendance aux subventions. « Des initiatives tentent d’imaginer et de développer des activités qui répondraient à un enjeu local, territorial, sociétal, via la vente de biens ou de services, avec une certaine autonomie de fonctionnement vis à vis des fonds publics », décrypte Sandrino Graceffa, directeur de SMart Europe (Société Mutuelle des Artistes). SMart est devenue la plus grande coopérative de travailleurs autonomes sur le continent, forte de 120 000 membres, dans 10 pays européens. Bien implantée dans l’hexagone, SMartFR est présente dans 16 villes de toutes les régions.

La protection du salariat, la liberté des indépendants

Son objectif : faciliter la gestion administrative, comptable et financière de projets dans les filières artistiques et culturelles, via des services mutualisés. Elle met à disposition une plateforme web qui permet à ses membres de facturer. Parmi eux, Pypo Production par exemple, organise des événements culturels éco-responsables et accompagne des artistes émergents en « Musiques actuelles », à Nantes. « En déléguant toute sa gestion sociale à SMart, elle a pu faire des économies d’échelle et investir dans des fonctions commerciales pour mieux développer son activité ». Les prestations des membres de la coopérative sont transformées en salaire, avec un paiement à sept jours, grâce au fonds de garantie. « C’est une façon de bénéficier de la protection sociale du salariat tout en ayant la liberté d’un indépendant », conclut Sandrino Graceffa. Cette solution innovante contribue à répondre à la crise de l’intermittence du spectacle, tout en incarnant une véritable alternative à l’auto-entrepreneuriat.

Coopérer entre entreprises

D’autres modèles innovants ont choisi la coopération entre entreprises, comme La Coursive Boutaric, située dans l’agglomération de Dijon. Ce pôle d’une vingtaine de structures emploie soixante dix salariés, dont cinq sont mutualisés. Elles ont chacune leurs propres statuts juridiques et des domaines d’intervention variés : spectacle vivant, cinéma, publicité, graphisme, web et édition. « Il y avait pas mal de problématiques communes chez les acteurs culturels en termes de stratégie de développement, de business modèles, de subventions publiques, donc on s’est dit : pourquoi pas créer un pôle d’entreprises créatives pour les aider à rendre leur démarche plus soutenable », explique Frédéric Ménard, son Président.

Le panier culturel, innovation territoriale

Création de théâtre jeune public et éducation à l’art, conception et organisation d’événements culturels sur mesure, ou encore, formation aux acteurs des collectivités ne sont que quelques unes des activités de la Coursive Boutaric. « On a sélectionné vingt chefs de projet, issus des différentes structures pour générer un bouquet de compétences, ce qui permet d’être plus efficace pour répondre à des marchés publics ». Grâce à ces interactions, une offre commune originale a pu voir le jour : le panier culturel, « entre panier Amap et Smartbox ». C’est une sélection de spectacles, d’objets d'art et d’ateliers de pratiques artistiques. Le pôle a également tissé des liens forts avec les collectivités. Installé dans un immeuble vacant d’une zone prioritaire de la ville, il permet de contribuer à l’attractivité des quartiers.

Ces acteurs d’une économie alternative de la culture portent haut une conviction commune : l’essaimage de coopérations multiformes peut renforcer les capacités des territoires à opérer leur propre transition culturelle, écologique et solidaire.