Mathilde Golla fréquente de moins en moins les grandes surfaces alimentaires depuis qu'elle a réalisé son défi.
©Astrid di Crollalanza ©Flammarion
DOSSIER

ID a rencontré… Mathilde Golla, auteure de "100 jours sans supermarché"

Le supermarché, c'est terminé. Mathilde Golla s’était d’abord lancé le défi de vivre un mois en évitant la grande distribution pour les besoins d’un reportage. La journaliste éco au Figaro a finalement prolongé son expérience durant 100 jours et nous en fait part dans un ouvrage à paraître cette semaine.

Epiceries paysannes, Amap, ventes de produits locaux en ligne… Selon la journaliste, les solutions pour manger local se multiplient ces dernières années : les Français plébiscitent un retour à l’alimentation de proximité… et ce ne serait qu’un début.

ID : Pourquoi avoir décidé de vous lancer ce défi sans supermarché ?

Mathilde Golla : En 2016, en pleine crise du lait, je me suis rendue chez ma mère dans la Manche et j’ai croisé son voisin, un petit producteur de lait qui arrêtait tout parce qu’il ne s’en sortait plus. Il travaillait 14 heures par jour y compris le dimanche, il n’avait jamais pris de vacances et malgré tout ça il perdait de l’argent. Je me suis vite rendue compte que ce n’était pas un cas isolé. On a alors lancé une question aux lecteurs du Figaro pour savoir s’ils étaient prêts à dépenser plus pour leurs produits afin d’aider les agriculteurs et ils ont répondu massivement « oui ». Une lectrice m’a dit qu’elle boycottait le supermarché et qu’elle ne passait que par les circuits courts, le meilleur moyen d’aider les producteurs. J’ai suivi son conseil et je me suis donc lancé ce premier défi d’un mois sans supermarché en alertant Twitter et Facebook. L’idée était de faire cela pendant un mois et de voir si ça allait me coûter plus cher. Avant de commencer, je suis allée pendant un mois uniquement au supermarché pour bien faire la comparaison avec des produits identiques et de qualité.

ID : Et qu’a donné cette comparaison ?

M.G. : Cela m’a coûté environ 12 % moins cher de passer par les circuits courts, que ce soit sur un mois ou sur 100 jours quand j’ai décidé de poursuivre l’expérience. C’est quand même une différence importante d’autant que je pensais dépenser plus avec les circuits courts. Aucune étude n’existe actuellement permettant de faire une comparaison exhaustive des produits qu’on trouve en supermarché et en circuits courts, en revanche l’Amap « Les Paniers Marseillais » a fait une étude comparative sur un an et le constat est le même que le mien, en tout cas pour les fruits et légumes. Ça reviendrait moins cher de passer par les Amap, y compris pour les fruits et légumes bio.

ID : Qu’avez-vous observé en relevant ce défi ?

M.G. : Je me suis rendue compte par exemple que passer par un grossiste revenait à la même chose ou presque que passer par la grande distribution. Il y a plusieurs astuces pour y échapper, comme aller dans des épiceries paysannes où les pommes de terre difformes sont mises en avant et deviennent des stars, le but étant que les gens développent un autre regard sur l’alimentation. Ces épiceries sont soit des regroupements d’agriculteurs qui choisissent un lieu et vendent collectivement leurs marchandises, soit c’est une personne qui crée un lieu et qui a directement affaire aux producteurs. Donc il n’y a qu’un seul intermédiaire et c’est la définition du circuit court. On aussi peut aller voir les maraîchers, qui ne vont pas vendre une grande variété de produits, mais des produits locaux et de saison que l’on paie moins cher.

ID : Pourquoi est-ce important de manger des fruits et légumes de saison ?

M.G. : Dans le cadre de mon expérience, une nutritionniste m’a donné quelques conseils. Elle m’a dit que la nature était vraiment bien faite : en hiver on a besoin de fer et d’oligo-éléments et on trouve cela dans les fruits et légumes de saison, l’été on a besoin d’eau et de vitamines et c’est à ce moment-là qu'on a le plus de fruits avec tous ces éléments. Le fait de manger de saison, c’est vraiment la garantie d’être en bonne santé et je l’ai constaté. J’ai eu l’impression d’avoir un regain d’énergie. Avant je ne faisais pas attention à ça, même si évidemment je n’achetais pas des tomates en hiver. J’ai mangé et cuisiné des légumes que je n’avais jamais mangés, des légumineuses aussi. En parlant aux producteurs, j’ai appris à faire preuve de bon sens.

ID : Vous êtes basée à Paris mais vous avez aussi voyagé dans d’autres régions durant ces 100 jours de défi. Trouvez-vous cela plus difficile de manger local dans les grandes villes plutôt qu’à la campagne ?

M.G. : J’ai effectivement trimballé mon défi partout où je suis allée : je suis originaire de la Normandie et j’ai trouvé plus facile de faire ses courses en pays très rural et agricole, où les fermes vendent directement leurs produits et où il y a plus de solutions toutes trouvées pour mettre en avant les producteurs. Mais cela reste à développer dans d’autres zones rurales. Pour les grandes villes, j’ai commencé mon expérience à Marseille en vacances et j’ai trouvé que les solutions de circuits courts y étaient plus abouties qu’à Paris. Mais ça se développe de plus en plus depuis environ deux ans je dirais.

ID : Comment expliquez-vous ce regain d’initiatives locales ?

M.G. : On parlait peu de la crise agricole avant mais je pense que depuis deux ans, le message est passé. Avec les récents scandales alimentaires, les gens ont envie de plus de transparence sur ce qu’ils mangent, ça renforce leur envie d’aller vers des circuits courts. Dans ce qui peut les motiver il y a aussi la question de la saveur. Quand on achète une tartelette au citron dans une boulangerie, on voit bien que ça n’a absolument pas le même goût qu’une tartelette sous cellophane achetée au supermarché, même de qualité. Le constat peut être fait pour tous les aliments. Je l’ai particulièrement remarqué avec les yaourts fermiers qui n’ont absolument pas la même saveur que les yaourts industriels : leur goût évolue d’ailleurs au fil des jours parce qu’ils ne sont pas bardés de conservateurs.

ID : Ce défi a-t-il modifié vos habitudes de consommation ? Qu’en avez-vous retiré ?

M.G. : Aujourd’hui j’ai revu complètement mon mode de consommation, je ne vais presque plus dans les grandes surfaces sauf pour trouver notamment du papier toilette et certains produits plus difficiles à trouver, même si ça commence à se développer ailleurs. La solution qui correspond le plus à mon quotidien c’est « La Ruche qui dit Oui ! » notamment parce que j’ai un point de retrait juste à côté de chez moi dont les horaires me conviennent. Je continue toutes les semaines à faire mes achats auprès d’eux, je vais aussi sur les marchés et chez un petit fromager près de chez moi. Plus jamais je n’achèterai de fromages en supermarché.

ID : Êtes-vous confiante quant à l’avenir des circuits courts ?

M.G. : Complètement, d’autant que c’est un marché créateur d’emplois. Tous les agriculteurs que j’ai rencontrés en circuits courts m’ont dit que ça les avait aidés, voire sauvés. Le milieu s’organise et le numérique aide particulièrement les producteurs à vendre leurs produits, je pense en particulier aux plateformes de vente en ligne de produits locaux. J’ai notamment testé « Le Comptoir Local » à Paris mais ça se développe dans toutes les régions. Je reste très attentive à ce qui se passe depuis 2016 et je vois bien que ça explose, qu’il y a un vrai boom de solutions locales. Même les grandes surfaces commencent à modifier leurs discours et à proposer des produits locaux. Pur marketing ou réelle volonté, si elles commencent à apporter ces solutions aux gens, c’est positif.

Golla Mathilde, 100 jours sans supermarché. Le premier guide des circuits courts, Flammarion (2018)

©Flammarion/Mathilde Golla